Réquisitoire contre Siné

 

13 décembre 1982

 

 

 

Françaises, Français,

Belges, Belges,

Bougnoules, bougnoules,

Fascistes de droite, fascistes de gauche,

Mon président mon chien,

Monsieur l'avocat le plus bas d'Inter,

Mesdames et messieurs les jurés,

Public chéri, mon amour.

Bonjour ma colère, salut ma hargne, et mon courroux... coucou.

 

L'homme qui stagne aujourd'hui sur ce banc de l'infamie où le cul du gratin s'écrasa avant le sien, cet homme, mesdames et messieurs les jurés, ce morne quinquagénaire gorgé de vin rouge et boursouflé d'idées reçues, présente à nos yeux blasés qui en ont tant vu qu'ils sont devenus gris la particularité singulière, bonjour les pléonasmes, d'être le seul gauchiste d'extrême droite de France. Xénophobe même avec les étrangers, re-bonjour, masquant tant bien que mal un antisémitisme de garçon de bain poujadiste sous le masque ambigu de l'antisionisme pro-palestinien, misogyne jusqu'à souffler dans sa femme pour économiser sa poupée gonflable, pardon Catherine, plus primaire encore dans son anticommunisme que les asticots moscovites présentement occupés à bouffer Brejnev de l'intérieur, Siné, la baguette sous le bras et le béret sur la tête comme un Guevara de gouttière, va sa vie à petits pas, tel un super-Dupont mou, plongeant mollement dans le fluide glacé de son troisième âge. Longtemps Siné rama. Pour survivre dans sa jeunesse il alla jusqu'à faire où on lui disait de faire, c'est-à- dire dans France Dimanche, entre les étrons mongoloïdes de Bellus et les fientes crétino-phallocratiques de Kiraz, le garçon coiffeur gominé de l'humour en gourmette.

Puis il eut le culot de fonder Siné Massacre et d'y fustiger sans retenue l'Église et l'Armée, en pleine monarchie gaulliste post-algérienne et de droit divin. Il fallait remonter à L'Assiette au beurre pour retrouver tant de violence dans la verve assassine. Hélas, hélas, hélas, vingt ans plus tard, comme les imbéciles et les morts, Siné n'a toujours pas changé d'opinions. Tel Tino Rossi pétrifié dans le Marinella roucoulophonique depuis les accords de Munich, Siné s'est figé depuis deux décennies dans les mêmes petits clichés franchouillards de gauche où s'enlisent encore les laïcs hystériques de l'entre-deux-guerres et les bigots soixante-huitards sclérosés que leur presbytie du cortex pousse à croire, contre vents et marées, que Le Canard enchaîné est toujours un journal anarchiste, et le gauchisme encore une impertinence.

En 1963, Siné imitait le corbeau, à l'envol de la moindre soutane. Vingt ans plus tard, Siné continue d'imiter le corbeau à la sortie des presbytères, mais les curés ne portent plus de soutane, et qui c'est qu'a l'air d'un con à faire croa-croa au passage d'un bodygraph?

La constante dans l'œuvre de Siné, mesdames et messieurs les jurés, c'est que cet homme ne connaît pas le doute. De même que Michel Jobert, pauvre puce ministrable, sait que les Français n'ont pas besoin de magnétoscope, Siné sait que les curés sont tous des salauds. Siné sait que les riches sont tous méchants et cons, et que les pauvres sont tous gentils, et cons. Grâce à quoi il peut se permettre de fourrer le moine Raspoutine et Mère Teresa dans le même sac à corbeaux, ou l'abbé Pierre et le curé d'Uruffe sous la même calotte, si j'ose m'exprimer ainsi.

En ce qui me concerne, mesdames et messieurs les jurés, et ce qui me concerne me passionne autant que m'indiffère ce qui vous concerne, c'est vous dire, en ce qui me concerne, j'ai toujours été fasciné par les détenteurs de vérité qui, débarrassés du doute, peuvent se permettre de se jeter tête baissée dans tous les combats que leur dicte la tranquille assurance de leur certitude aveugle. Non voyante, devrais-je dire. Pardon aux obturés du globe.

Malheureusement, j'ai le regret d'avoir à vous le dire, monsieur Siné, mais cette vertu sereine d'où se dresse quiconque croit détenir LA vérité, cette mâle assurance qui distingue le fort du faible, la bête humaine du Pierrot sentimental et, en un mot, l'homme de l'enfant, cette vertu n'existe pleinement à l'état fonctionnel que chez une seule catégorie d'êtres humains chez qui on l'exige avant de leur confier nos vies et nos frontières, et ces êtres humains, ce sont les militaires. Vous êtes un militaire, Siné. Vous êtes un sergent. Vous connaissez l'ennemi, tacatacatac, qu'on vous file un tromblon à la place de votre feutre à Mickeys, et tacatacatac, vous allez tuer, détruire, écharper.

Vous êtes de ces pacifistes bardés de grenades et de bons sentiments prêts à éventrer quiconque n'est pas pour la non-violence.

Que vous le vouliez ou non, quelque chose en vous évoque ces bigots du manichéisme pour qui la guerre de 14-18, c'est la guerre entre les méchants Allemands et les gentils Français. Et non pas, comme l'a dit l'autre jour un petit garçon de 10 ans, dans l'émission de Michel Polac où vous graffitez chaque semaine : « La guerre de 14-18, c'est la guerre contre les Allemands et les Français. »

Ah, Dieu me crapahute, que la vie serait plus belle si tout le monde doutait de tout, si personne n'était sûr de rien. On pourrait supprimer du dictionnaire les trois quarts des noms en « iste », fasciste et communiste, monarchiste et gauchiste, khomeyniste et papiste, et les porte-drapeaux de leurs croisades de merde : Mussolini, Lénine, Andropov et Pinochet, la faucille et le goupillon... plus d'idéaux, et c'est la fin des guerres. Qu'est-ce qu'on demande de plus, pour tuer le temps en attendant la mort : plus de guerre, de l'amour, du saint-émilion pour tout le monde, plus de guerre, des fleurs, du Champagne pour les pauvres et des enfants qui chantent, de la musique, plus de guerre, des crépuscules sereins, des nuits blanches et des porte-jarretelles noirs et plus de guerre.

N'oublions jamais, mes frères, les dernières paroles du Christ en croix, alors que la colère du Père soufflait sur le Golgotha : « Froid, moi ? Jamais... »

Enfin, je ne voudrais pas céder la place à la traditionnelle minute d'expression corporelle ibérique des ballets de Lisbonne sans accabler l'accusé Siné pour sa tentative de ravalement du calembour au rang de borborygme pétomaniaque pour demeurés aérophages. Je pense notamment à votre antédiluvienne série sur les chats à tiroir dans laquelle les jeux de mots crapuleux s'enchevêtrent les uns dans les autres avec autant de finesse et d'élégance que les frères et les sœurs Tuyau de poêle sur les fresques obscènes des salles de garde de Lascaux. Et les femmes que vous salissez, comment n'en point rougir en ces lieux où jamais nul ne dit bite ou couille.

A propos de tuyau de poêle et de toile à matelas, une auditrice de Lourdes, Mme Sophie Trébuchard, 69, impasse de l'Apparition, m'écrit en son nom personnel et au nom de plusieurs dizaines de paroissiens de sa commune qui assistaient à la corrida de la Saint- Soubirou, le jour où nous avons expliqué ici la quatorzième position du Kama Sutra. Le texte explicatif de cette quatorzième position peut être mis à votre disposition, madame, sur simple demande écrite à Monsieur Jean-Noël Jeanneney, PDG, Radio France, 116, quai Kennedy, Paris 16e.

Mais sans plus attendre, voici pour finir la quinzième position du Kama Sutra, qui offre l'avantage de pouvoir être pratiquée à plusieurs, comme nous allons vous le démontrer maintenant. Bon. Tout le monde est prêt ? Alors allons-y.

 

Pierre : Alors ça, ici, n'est-ce pas, et ça, là, voyez-

vous?

Tous : Comme ça ?

Pierre : Non, non. Pas comme ça. Comme ça. Et ça,

là. Non, là.

Tous : Comme ça?

Pierre : Euh... ça, oui, mais là, non, comme ça.

Tous : Comme ça ?

Pierre : Ah oui ! Ah oui ! C'est très bien. Ah oui, c'est très très bien.

Tous : En effet. C'est épatant. Ah oui ! Ah, mais oui ! C'est vraiment épatant. Merci, mon cher Pierre. C'est épatant.

 

Lors d'une prochaine audience nous étudierons ensemble la dix-septième position.

Donc Siné est coupable, mais son avocat vous en convaincra mieux que moi.

 

Siné: Ce dessinateur haineux, raciste et borné a foutu des boutons de rage à plusieurs générations de bien- pensants. Qu'il en soit ici remercié et qu'il crève.

Requisitoires du tribunal des flagrants delires
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